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Cardiologie

Publié le 25 oct 2024Lecture 9 min

Place de la biopsie endomyocardique et de l’IRM cardiaque lors d’une suspicion de myocardite immunomédiée

François DEHARO(1), Franck THUNY(1,2), Jennifer CAUTELA(1,2)*, Marseille

Les immunothérapies anticancéreuses représentent un nouveau paradigme et une avancée majeure dans le traitement des cancers. Plusieurs types de thérapie immunitaire existent ou sont en cours de développement, mais les inhibiteurs de points de contrôle immunitaire (ICI) sont actuellement les plus utilisés(1). Bien qu’étant une réelle révolution thérapeutique, les ICI peuvent donner lieu à de nombreux effets indésirables que l’on appelle « immunomédiés ». Parmi eux, ont été décrites des myocardites sous ICI (ICI-M), dont l’incidence est estimée entre 1 à 2 %, mais qui peuvent être fatales dans près de 50 % des cas(2). Les lésions myocardiques consistent en une infiltration de lymphocytes T (surtout CD8+) dont la prise en charge empirique consiste en l’interruption définitive des ICI et l’introduction précoce d’une corticothérapie à forte dose. Dans certains cas réfractaires aux corticoïdes ou de myocardites d’emblée fulminantes, une deuxième ligne d’immunosuppresseur plus intense peut être proposée(3).

Sous-diagnostiquer » une ICI-M peut conduire à un retard d’instauration des corticoïdes et à la survenue d’événements cardiovasculaires majeurs. Inversement, un « sur-diagnostic » peut conduire à l’arrêt définitif non justifié de l’immunothérapie et donc à la progression du cancer. Faire le diagnostic d’une ICI-M est donc un défi majeur. Ce diagnostic est d’autant plus complexe que les myocardites sous ICI représentent une for me très particulière de myocardite, différente des myocardites virales, par leur présentation clinique, mais aussi paraclinique et notamment concernant les résultats d’imagerie. En effet, la performance diagnostique de l’imagerie par résonance magnétique cardiaque (IRMc) est plus faible que celle pour les myocardites d’autres étiologies(4). C’est pourquoi certaines équipes ont proposé une indication plus large de la biopsie endomyocardique (BEM) en cas de suspicion d’ICI-M. Ainsi, comment définir la place de l’IRMc et de la BEM pour le diagnostic des ICI-M ?   Rôle diagnostique de l’IRMc en cas de suspicion de myocardite   Quelle est la place de l’IRMc en cas de myocardite (hors cas spécifique des ICI-M) ? L’IRMc est la modalité d’imagerie de référence pour le diagnostic de myocardite(5). Sa principale force réside dans les techniques de caractérisation des tissus qui permettent d’approcher en imagerie des constatations histologiques. Les critères diagnostiques de myocardite aiguë en IRMc ont été établis en 2010. Il s’agit des critères de Lake Louise, mis à jour et modifiés en 2018 (2018-LL)(6) en intégrant des séquences modernes désormais utilisables en routine. Les séquences de « mapping » pondérées T2 recherchent l’œdème myocardique et celles pondérées T1 avec et après injection de sels de gadolinium recherchent des lésions myocardiques non ischémiques (tableau 1). En présence de ces 2 critères majeurs, la sensibilité et la spécificité des critères 2018-LL pour le diagnostic de myocardite virale sont de l’ordre de 88 % et 96 %(6).   Points clés L’IRMc est la modalité d’imagerie de référence pour le diagnostic des myocardites. En présence d’œdème myocardique (T2) et de lésion myocardique non ischémique (T1), la sensibilité et la spécificité des critères 2018-LL sont excellentes en cas de myocardite virale.   Quelles sont les particularités de l’IRMc en cas de suspicion d’ICI-M ? La performance diagnostique de l’IRMc est moindre en cas d’ICI-M par rapport aux myocardites virales. Deux études issues d’un registre international ont analysé de manière rétrospective les résultats d’IRMc de patients dont le diagnostic d’ICI-M était posé(4,7). Alors qu’un rehaussement tardif (RT) T1 est présent dans environ 80 % des cas de myocardites non liées aux ICI, dans ces études, un RT n’a été observé que chez 38 % des patients dont la biopsie myocardique était pourtant positive. La sensibilité des critères de 2018-LL est ainsi affectée en cas d’ICI-M et est estimée à 52 % contre 88 % en cas de myocardite virale (tableau 1). La spécificité des critères diagnostiques IRMc peut également être influencée du fait même des particularités de la population de patients traités par ICI-M. Ces derniers sont souvent plus âgés et présentent davantage de comorbidités cardiovasculaires que les patients classiquement atteints de myocardite virale. De plus, ils ont parfois été préalablement soumis à d’autres lignes de traitements anticancéreux, qui ont pu entraîner des lésions myocardiques préalables. Récemment, une étude a montré que 10 % des patients devant recevoir des ICI présentaient un RT avant tout traitement nous incitant à interpréter de manière prudente les IRMc chez ces patients(8). Sans chiffre précis, on sait donc que la spécificité de l’IRMc dans le diagnostic de la ICI-M est également diminuée. En revanche, comme pour les myocardites virales, on retiendra que la présence d’un RT dans le septum interventriculaire(8) ou l’augmentation du T1 natif à ce niveau(7) sont des facteurs prédictifs indépendants de survenue d’événements cardiovasculaires majeurs. Points clés Les performances diagnostiques des critères 2018-LL sont moindres en cas d’ICI-M qu’en cas de myocardite virale. L’IRMc a une valeur pronostique dans les ICI-M comme dans les myocardites virales.   Rôle diagnostique de la BEM en cas de myocardite   Quelle est la place de la BEM en cas de myocardite (hors cas spécifique des ICI-M) ? La myocardite est définie comme une maladie inflammatoire du myocarde diagnostiquée sur la base de critères histologiques, immunologiques et immunohistochimiques(9). Ces critères histologiques correspondent aux critères de Dallas, établis en 1984, caractérisés par la preuve histologique d’infiltrats inflammatoires du myocarde associés à une perte de cardiomyocytes ou une nécrose d’origine non ischémique. Des formes « borderline » sont définies lorsqu’il existe une infiltration inflammatoire sans perte ou nécrose myocardique. Le diagnostic même de myocardite repose donc sur l’analyse de tissu myocardique définissant la BEM comme le gold standard pour le diagnostic de myocardite. Celle-ci est alors hautement spécifique quand positive. Cependant, actuellement en cardiologie, les indications de BEM sont limitées. Il est recommandé de réaliser une BEM à la re cherche d’une éventuelle myocardite sous-jacente en cas de : i. premier épisode d’insuffisance cardiaque inexpliquée évoluant depuis moins de 2 semaines, associée à un VG de taille normale ou dilaté et une hémodynamique compromise (classe I B) ; ii. premier épisode d’insuffisance cardiaque inexpliquée d’une durée de 2 semaines à 3 mois associé à une dilatation VG et nouvelle arythmie ventriculaire ou BAV 2 Mobitz 2 ou BAV complet ou non-réponse au traitement usuel en 1 à 2 semaines (classe I B)(10). Dans ces indications, le type histologique de la myocardite impacte la prise en charge, mais aussi le pronostic. En cas de myocardite fortement suspectée sur un faisceau d’arguments associant la clinique, la biologie et l’IRMc, une BEM est ainsi rarement réalisée pour diagnostiquer une myocardite virale. On sait de manière générale que la sensibilité des BEM en cas de myocardite est imparfaite (60-70 %). Elle dépend de multiples facteurs incluant : l’expérimentation des opérateurs réalisant le geste, mais aussi des anatomopathologistes analysant le prélèvement, la probabilité clinique pré-test, le moment de réalisation de la biopsie avec une rentabilité majorée si réalisée précocement et probablement moindre après corticothérapie(8), les sites de prélèvements (améliorée en cas de biopsies biventriculaires, diminuée en cas de myocardite « patchy » et donc n’affectant pas l’ensemble du myocarde), le type histologique de la myocardite, et enfin les méthodes d’analyses des prélèvements (sensibilité majorée si technique d’immunohistochimie associées à l’histologie)(11). Enfin, il s’agit d’un geste qui n’est pas dépourvu de risques avec des complications estimées à 6 % dont 1 % de complications majeures, majorées en cas de réalisation chez des patients âgés surtout de sexe féminin(12). Points clés La BEM est considérée comme le gold standard pour le diagnostic de myocardite. Étant donné ses complications et sa faible sensibilité, ses indications sont limitées.   Quelles sont les particularités de la BEM en cas d’ICI-M ? Palaskas et coll., en se basant sur l’analyse de multiples BEM d’ICI-M, ont proposé une définition histologique de la myocardite sous immunothérapie reposant sur la sévérité de l’inflammation, pouvant aller d’un stade minime (avec un infiltrat inflammatoire myocardique sans perte des cardiomyocytes) à des stades évolués avec inflammation importante associée à une perte ou nécrose des cardiomyocytes(11). Dans cette étude, il existait une discordance importante entre les résultats de la BEM et ceux de l’IRMc. En effet, on pouvait observer des IRMc négatives en cas de stades évolués à la BEM et inversement, des IRMc positives en cas de lésions histologiques mini mes ou absentes. Cela souligne encore les valeurs imparfaites des performances diagnostiques de ces deux examens. De plus, 4 patients avec infiltration lymphocytaire, mais sans perte ou nécrose myocardique ont eu un pronostic favorable malgré l’absence de corticothérapie et la poursuite du traitement par ICI. Il pourrait donc exister une forme minime d’ICI-M qui ne justifierait pas de l’interruption des ICI quand celle-ci est encore au stade où aucune nécrose ne s’est produite. Ces résultats suggèrent la possible valeur pronostique de la BEM (infiltrat lymphocytaire majeur ? nécrose ?), par rapport à l’IRM et pourrait inciter à sa réalisation plus large. Points clés Les performances diagnostiques des BEM en cas d’ICI-M peuvent être affectées par différents facteurs, notamment la méconnaissance des spécificités histologiques des ICI-M et les thérapeutiques mises en place avant la réalisation de la BEM dont la corticothérapie. Il peut exister une discordance entre les résultats de la BEM et ceux de l’IRMc. Les résultats de la BEM pourraient avoir une valeur pronostique surajoutée.   En pratique, que nous disent les recommandations de la société européenne de cardiologie ?   L’ICI-M est une nouvelle entité dont le diagnostic est plus complexe que celui des autres types de myocardites. Les présentations cliniques sont parfois trompeuses, notamment en cas d’atteintes immunologiques souvent associées telles que les myosites et les syndromes myasthéniformes. C’est pourquoi les toutes nouvelles recommandations de la société européenne de cardiologie (ESC), publiées en août 2022, préconisent le dépistage systématique des ICI-M par le dosage de la troponine au cours d’un traitement par ICIs, en particulier lors des 4 premières injections. C’est pourquoi, avec l’évolution croissante des indications d’ICIs et le grand nombre de patients traités, ce protocole de dépistage va probablement conduire à un plus grand nombre de suspicions d’ICI-M, y compris chez des patients parfois asymptomatiques. Afin de nous aider dans cette étape cruciale de diagnostic, les recommandations ESC proposent d’utiliser la définition de la Société internationale de cardio-oncologie (IC-OS), applicable facilement en pratique clinique(14). Une fois suspectée, un électrocardiogramme, un dosage de la troponine, une échographie cardiaque transthoracique et une IRMc doivent alors être réalisés en première intention (tableau 2)(13).   Le diagnostic d’ICI-M est alors posé sur l’association d’une élévation du taux de troponine et d’un critère majeur, ou de deux critères mineurs, après avoir éliminé une autre cause (notamment une atteinte coronaire aiguë ou une myocardite d’origine infectieuse) (tableau 3).   Ces mêmes recommandations européennes préconisent le recours à la BEM, dans des centres experts, uniquement en cas de doute diagnostique malgré l’ensemble de ces examens de première ligne (tableau 4) ou chez des patients instables chez qui l’IRM ne serait pas réalisable. Points clés Selon les recommandations ESC 2022, l’IRMc est à réaliser en première intention pour le diagnostic d’ICI-M. Selon ces mêmes recommandations, une BEM devra être réalisée en cas de doute diagnostique ou d’instabilité hémodynamique ou rythmique et dans des centres experts.   En pratique   En cas de suspicion d’ICI-M, la réalisation d’une IRMc est préconisée en première intention. La BEM est donc un examen de deuxième intention à proposer en cas d’IRMc non réalisable ou de diagnostic restant douteux malgré les examens paracliniques de première intention. Cependant, on sait que ces deux modalités diagnostiques présentent des limites et des particularités par rapport à leur utilisation dans les myocardites virales. Plusieurs inconnues restent donc à valider concernant cette pathologie encore mal connue : – les critères de 2018-LL restent-ils pertinents en cas d’ICI-M ? – quel est le timing idéal de réalisation de l’IRMc ? Faut-il répéter cet examen ? – quelle est la valeur pronostique de la BEM ? De nouvelles études ou de grands registres nous permettront sûrement de progresser sur la connaissance de l’ICI-M à l’avenir. * 1 Aix-Marseille University, University Mediterranean Center of Cardio-Oncology, Unit of Heart Failure and Valvular Heart Diseases, Department of Cardiology, North Hospital, APHM, Marseille 2 Centre for CardioVascular and Nutrition Research (C2VN), Inserm 1263, Inrae 1260, Marseille

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